Il est hélas à craindre que la Marmite Norvégienne restera longtemps associée à la cuisson du bœuf bourguignon vue par des Amis de la Terre, une hérésie sur le plan gastronomique...
(cliquez sur l'image pour l'agrandir)
Tout est parti de ce
tableau incomplet et incompréhensible issu d'un pdf, très bien
fait par ailleurs, qui présente le principe de la Marmite
Norvégienne. C'est une des premières références virtuelles à ce
propos (2004), dans le cadre de l'opération «Négawatts » qui
visait à réduire de 50% la consommation énergétique familiale.
Les temps
d'ébullition sont vraiment très brefs pour les légumes, mais bon,
les goûts et les couleurs...
Par contre,
les 5 minutes d'ébullition du bœuf bourguignon m'ont toujours
choquée et, n'ayant que des bons souvenirs de longues et savoureuses
cuissons au coin du feu, je m'étais dit à l'époque que ces
indications venaient sans doute de quelqu'un qui n'était pas très
gastronome, qui n'avait guère expérimenté par lui-même, ou qu'il
s'agissait peut-être d'une coquille (?).
Ce tableau,
cité systématiquement sur le net dès qu'il s'agit de Marmite
Norvégienne, aura eu au moins le mérite de m'inciter à
expérimenter des recettes par moi-même. Quand je fais du bœuf en
daube, je compte 30 minutes d'ébullition (recette dans mon livre
page 39 du document en ligne), mais je n'avais jamais encore cuisiné
moi-même de vrai bœuf bourguignon.
Et voilà
que dans cet article de Rue89 il était à nouveau question de ce
bœuf bourguignon aux 5 minutes d'ébullition !
« Par
exemple, un dimanche après-midi, vous voulez concocter un bœuf
bourguignon ; vous le
faites bouillir cinq minutes sur le feu puis vous placez la casserole
dans la marmite norvégienne pendant environ deux heures trente, soit
une demi-heure de plus que la cuisson classique. Avec une économie
d’énergie de 75% [PDF], selon
l’association Les Amis de la Terre ! »
Avant que je
ne me décide à tester pour en avoir le cœur net (peur de gâcher
la marchandise), des amies l'ont fait pour moi et m'ont confirmé que
non, bien sûr 5 minutes ça ne suffit pas ! Évidemment, c'est
« mangeable » mais quel dommage et quelle mauvaise image
pour ceux qui ne connaissent pas encore la Marmite Norvégienne...
Pour quelqu'un qui apprécie la bonne chère, en 5 minutes, la viande
ne peut pas être assez cuite, le goût de la sauce va rester très
proche du vin. L'alcool n'aura pas le temps de bien s'évaporer et
les arômes resteront en plan. La viande, qui a toutes les chances
d'être mal cuite, n'est pas imprégnée comme elle gagnerait à
l'être avec davantage de cuisson.
OK, on aura
peut-être réussi le challenge de cuire quelque chose qui
nécessite 3 heures de mijotage en 5 minutes, on aura épargné de
l'énergie mais il n'y a vraiment pas de quoi se vanter sur le plan
culinaire !!
Dans son
livre « 15 bricolages écologiques et malins »
(Terre vivante, 2012), Roland Dutrey propose lui aussi une version du
bœuf bourguignon qui consiste à faire roussir la viande dans
un peu d'huile d'olive, puis à ajouter les oignons émincés et les
carottes coupées en rondelles de 1 cm. Après avoir saupoudré le
tout de farine, laisser roussir un instant, puis ajouter vin,
aromates et sel. Cuire 10 minutes puis placer le plat en MN. Au bout
d'une heure, reporter le plat à ébullition et le remettre 1h 30 en
MN. Pour plus de saveur encore, on peut reporter encore le plat à
ébullition une troisième fois et le laisser mijoter dans la MN une
ou deux heures...
Hélas,
après avoir testé, la déception gustative est encore au
rendez-vous : le fait de reporter le plat 2 ou 3 fois à
ébullition apporte un plus mais ne compense pas le temps trop bref
de cuisson préalable. C'est mangeable, on n'a rien gaspillé, mais
surtout quand on y a mis de bons ingrédients, on se dit qu'ils
méritent quand même mieux que ça... Ce qui est particulièrement
intéressant dans cette recette, c'est le fait de sortir le plat de
la MN au bout d'un certain temps et de le reporter brièvement à
ébullition. Ça m'a ouvert des perspectives que je n'avais pas
trouvées dans mes recherches sur l'histoire de la MN.
Retour
dans le passé et à des temps d'ébullition plus réalistes avec ce
cher Paul Delay et ses « 222 recettes de plats à préparer
avec la marmite norvégienne » (P. Lethielleux, 1917)...
« Bœuf
bourguignon :
Cuisson
sur le feu après ébullition : 35 min. ; dans la MN :
6h
Mettez
dans la casserole 30g de beurre ou de végétaline, faites fondre.
Mettez le bœuf coupé en morceaux (culotte, paleron ou gîte),
faites bien revenir. Enlevez le bœuf, mettez dans la casserole une
cuillerée à soupe de farine en tournant. Quand la farine est
délayée et roussie, versez un verre ou mieux un verre et demi de
vin rouge, puis un quart de litre de bouillon ou, à défaut, un
demi-verre d'eau. Assaisonnez avec une gousse d'ail, quatre oignons
moyens, thym, laurier, persil, salez poivrez. Sitôt l'ébullition
commencée, remettez le bœuf dans la casserole et faites cuire 35
min. (puis 6 h en MN). »
Voilà
qui allait tout à fait dans mes temps d'ébullition préalable !
Alors, pour les gourmets qui
voudraient tester et apprécier le bœuf bourguignon à la Marmite
Norvégienne, et pour ne pas rester sur la désagréable impression
des indications farfelues de l'article de Rue 89, voici donc ma recette...
Je
me suis inspirée d'un livre que je consulte souvent, « Chocolat
& zucchini » de Clotilde Dusoulier (Marabout, 2008).
Sa recette du bœuf bourguignon est page 163. Je l'ai adaptée pour
4 personnes, avec les ingrédients bio dont je disposais.
D'abord, la veille au soir j'ai
fait mariner la viande (1 kg de bourguignon) dans un grand
saladier avec :
1 oignon émincé, 4 carottes coupées en
rondelles de 5 mm environ, 2 ou 3 gousses d'ail hachées, 3
feuilles de laurier, une bonne cuillère à soupe de thym
séché, un petit piment coupé fin, un trait d'huile
d'olive et du sel. J'ai mélangé et versé du vin rouge (Mas
de Valériole, Terre de Camargue, un excellent vin de pays bio) sur
le tout (que la viande soit à l'aise, pas noyée). Le
saladier recouvert d'un linge a passé la nuit au réfrigérateur.
Le lendemain, j'ai posé une
grande passoire sur un saladier pour y recueillir la marinade.
Ensuite j'ai séparé viande et légumes. J'ai découpé en dés 2
tranches de poitrine fumée (env.120g).
À
8h30 (pour une fois, j'ai essayé de ne pas perdre de vue la
pendule !), j'ai fait chauffer la cocotte attitrée de ma MN , puis j'ai mis les lardons
à fondre à feu pas trop vif, moins de 5 minutes. Je les ai retirés
et mis de côté. Dans le peu de gras qu'ils ont laissé, j'ai fait
revenir les légumes, 5 minutes tout au plus, en remuant souvent et
hop, pareil, à réserver.
À 8h 40, au tour de la viande
d'être saisie, toujours à feu pas top vif. J'ai procédé en 2
fois, pour que tous les morceaux y passent (5 minutes à chaque
fois). Ensuite, j'ai remis toute la viande dans la cocotte et
saupoudré de 2 bonnes cuillerées à soupe de farine. J'ai
bien suivi les conseils de Clotilde et remué jusqu'à ce qu'il n'y
ait plus de traces blanches (2 minutes environ). J'ai remis les
légumes, versé la marinade et porté le tout à ébullition.
Chez Clotilde c'est parti pour 3
heures de mijotage sur le feu : c'est là que nos chemins se
séparent et que la MN intervient :
De 9h à 9h 30, j'ai maintenu
l'ébullition à feu doux, à couvert. Ensuite, j'ai placé la
cocotte dans la Marmite Norvégienne. Au bout d'une heure, j'ai
reporté le plat à ébullition et, dernier emprunt à la recette,
j'ai incorporé les lardons ainsi que 4 carreaux de chocolat noir
(20g, à 85%). J'ai maintenu l'ébullition 5 minutes, puis la cocotte
est retournée en MN jusqu'à 11h45 où, pendant que je faisais cuire
les pâtes qui accompagnaient le plat, j'ai laissé mijoter
doucement, histoire de faire un peu réduire la sauce (une dizaine de
minutes).
Verdict : c'était
excellent ! Tout le monde a apprécié et a loué les mérites
de la MN (par expérience, je ne dis rien sur le procédé de
cuisson, j'attends les compliments avant ;-))
Donc si l'on compte le temps
passé sur le gaz : cela fait 1 h 30 maxi en tout. On est bien
dans les 50% d'économies des Négawatts et au moins on est sûr que
le plat sera apprécié ! Après, toutes les expériences sont
possibles (mes dernières dix minutes sur le feu peuvent être
zappées par exemple), mais j'estime qu'avant de se lancer dans des
temps de cuisson extrêmement courts, il vaut mieux se contenter de
les réduire déjà de moitié, surtout si l'on n'a pas l'habitude de
se servir de la Marmite Norvégienne et qu'on a des invités
gourmets... Bonnes expériences et bon appétit !